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Entre les gouttes
de Paul Blanqué
Et enfin on vous racontera
Il y aura les nostalgiques et les autres. Les oubliés. Ceux qui subissent, exclus par le présent, en marge du passé, immobilisés entre deux mondes dans un univers où rien n'est virtuel
En ces années cinquante-cinq, je n’avais que six petits printemps . En ce temps-là, les hivers étaient rudes. La neige et les gelées s'amusaient, complices, résolues à nous entraîner dans une hibernation de novembre à mars. Plus la température descendait, plus les soirées s’enfonçaient dans la timide mais duveteuse chaleur du foyer familial. En ce temps-là, sept logements sur dix se chauffaient au bois ou au charbon grâce à une bonne vieille cuisinière, unique moyen de chauffage du logis. Dehors, les stalactites de glace encourageaient la féerie. L’eau du canal demeurait solide, profondément rigide, pétrifiée
dans la glace. Cette dernière recouvrait la nature de plusieurs millimètres d’épaisseur, sans complexe. Heureusement, la circulation automobile ne supportait pas encore le trafic d’aujourd’hui.
Je me revois, retirant les grosses chaussettes de laine que ma mère avait enfilées le matin sur mes gros godillots afin d’éviter de dangereux dérapages. Rincées, les chaussettes étaient étendues au support de la cuisinière. Le chandail de grosse laine, patiemment tricoté par ma mère, se gorgeait de chaleur. Les mains : crevassées ! La glycérine... Ce souvenir douloureux se rappelle à moi. « C’est terrible les crevasses !... Et ce produit… plus encore. » Les mains en étaient enduites, énergiquement massées l’une avec l’autre. Puis, paumes vers le haut, le dos de celles-ci au plus près de la plaque brûlante de la cuisinière à bois, il suffisait de patienter, d’attendre que la chaleur officie, que le corps gras dévore le mal et cicatrise la peau maltraitée par le froid. Un bandage, et hop, au lit.
En ce temps-là, le soir, à la veillée, sept ménages sur dix écoutaient la radio tout en dégustant quelques châtaignes, une orange, alors que la peau de cette dernière, déposée sur la cuisinière, diffusait sa douce odeur aigrelette. Des instants inoubliables durant lesquels la famille communiait de ses intimes ressources humaines.
En ce temps-là, un ménage sur dix possédait un aspirateur, un chauffe-eau, une machine à laver. Il est vrai que l’eau chaude au robinet de la seule cuisine s’apparentait au luxe. Certains n’avaient même pas l’eau froide, l’eau courante comme on dit aujourd’hui ; alors vous pensez, l’eau chaude ! Ainsi l’image des lavandières ressurgit de ma jeunesse. Elles, battant le linge sur la margelle du lavoir surplombant de quelques centimètres les eaux du canal encore ouvert aux péniches sans moteur, halées au moyen d’une corde tirée par de drôles d’engins accrochés aux rails aménagés sur le chemin de halage.
En ce temps-là, sept familles sur cent possédaient un réfrigérateur. Une sur dix un poste de télévision ; en noir et blanc, bien sûr ! En ce temps-là, on se parlait. 0n ne communiquait pas encore. Du moins personne ne savait qu’il avait la chance de pratiquer naturellement ce que les futures sciences humaines définiraient comme capital au monde moderne. On conversait dans la digne lignée de notre descendance gauloise. Sans potion magique, c’est un fait, mais profondément ancrés dans la réalité, ignoré du futur virtuel qui compose, à peine une moitié de vie plus tard, notre quotidien.
Il y aura les nostalgiques et les autres. Les oubliés. Ceux qui subissent, hors de "l’avancée", exclus par le présent, en marge du passé, immobilisés entre deux mondes dans un univers où rien n'est virtuel, où chacun peut basculer en un instant.
Tout cela peut paraître d’une autre ère. Cependant, n’oublions pas qu’une toute petite poignée d'années s’est évaporée. Une pincée si petite, si dérisoire, si ridiculement humaine, que j'ai peine à admettre ce qui s’est passé durant ces cinquante années de vie commune avec l’humanité. Et dans cinquante ans ?... Alors on vous racontera…
■ Paul Blanqué [ Retrouvez la bibliographie de Paul Blanqué ]